Nos vieux démons nous manqueront-ils ?
Magicowl réalise le clip de Jérémie Makiese pour le Concours Eurovision de la Chanson 2022.
Avec la chanson « Miss you » qu’il a écrite et composée, Jérémie Makiese, vainqueur de la saison 9 de The Voice Belgique, représentera notre plat pays lors de l’Eurovision 2022 qui se déroule en mai à Turin. La production d’Universal Music, séduite par une proposition qui explore à la fois l’intime et le symbolique, a confié la réalisation du clip à Magicowl. Le résultat : une mise en scène puissante des mots de Jérémie et une recherche visuelle qui laisse peu de place au hasard.En ligne depuis un mois, le clip de « Miss you » dépasse les 850 000 vues sur YouTube. L’histoire qu’il raconte, où se mêlent références religieuses, danse et monde automobile, interpelle. Loin des clichés amoureux qui pourraient coller aux paroles de « Miss you », l’image révèle un sens plus profond de la chanson. Elle interroge notre rapport au passé, à ce que nous avons été et notre lien avec nos vieux démons.
De ces significations multiples que porte la chanson, mises en lumière par Jérémie Makiese au cours d’échanges avec Mehdi Semoulin et Brooke-Ashley Petrone – les deux têtes pensantes de Magicowl – émerge une ligne directrice : creuser l’intime à travers la confession et différents tableaux.
« Notre volonté, explique Mehdi, était d’illustrer la foi de Jérémie en utilisant l’imagerie catholique, mais d’une façon qui la rende pop ». Une fois de plus, l’équipe de Magicowl fait preuve d’une originalité débridée en créant une voiture-confessionnal. La narration prend forme : au début du clip, Jérémie monte dans le véhicule, une Lincoln Continental aux portières DeVille – DeVille, Devil, faut-il encore préciser que chez Magicowl, le diable est dans les détails ? De l’autre côté de la cloison, on devine la présence d’un confesseur. La voiture redémarre, les premières notes résonnent. Pour Mehdi, « la confession caractérise l’introspection, ce moment où on lutte contre nos démons ou bien au contraire, où l’on va vers notre part de lumière ». Ici, la confession prend place dans le mouvement, sur un trajet qui est un temps suspendu entre le départ et la destination, marqué par des arrêts et une attente qui font référence au purgatoire. Cette symbolique forte traverse tout le clip.
Trois tableaux se dessinent au fil de la confession. Le premier présente Jérémie sur une scène sombre, chantant devant un micro. Le deuxième replonge dans le monde automobile et montre le chanteur et des danseurs entourés de voitures dans un garage. Si la voiture est pour Mehdi le symbole de la vie qui avance, le garage, loin d’être un lieu anodin dans le clip, fait référence un moment de pause et de réparation qui précède un choix d’avenir. Enfin, le troisième tableau, où danses et chants prennent place dans une église – la collégiale Sainte-Waudru de Mons, méconnaissable à l’image – rappelle les références bibliques du début.
Ces tableaux sont autant de portraits de Jérémie qui, en proie au doute, laisse progressivement sa part d’ombre dans le passé pour avancer. Et c’est avec une nouvelle symbolique forte que Magicowl nous révèle la chronologie de cette narration : les couleurs ! En effet, trois tons régissent l’univers de « Miss you » : le noir, le rouge et le blanc – les trois couleurs de base du système ancien, toutes marquées pour l’ambivalence de leur symboliquei.Le noir, couleur liée aux épreuves, au péché, aux défunts et au monde souterrain représente les vices et le côté bad boy du chanteur. À l’inverse, le blanc, symbole de pureté et de lumière divine évoque son désir de régénération, d’absolu, de quête vers sa part lumineuse, notamment liée au chant. Entre ces opposés, le rouge, couleur du feu, du sang, de l’amour mais aussi de l’enfer marque l’ambiguïté qui lie ces différentes facettes.L’évolution du personnage suit donc celle de ses tenues au fil des tableaux : le noir de la voiture se retrouve mêlé au costume rouge sur scène, le rouge se teinte de blanc dans le garage puis le blanc devient total dans l’église. Les danseurs sont marqués du même code couleur. Allégories des émotions de Jérémie, ils évoluent autour de lui, dans une chorégraphie qui évoque tantôt le contrôle, tantôt le lâcher-prise. La scène finale révèle l’identité du confesseur, vêtu tout de noir, et qui n’est autre que le chanteur lui-même.
La chanson « Miss you », dans le clip de Magicowl, résonne comme un adieu à certaines parts de nous-mêmes. La vidéo s’empare de l’ambiguïté du rapport à soi et d’une question qui reste sans réponse : nos vieux démons nous manqueront-ils ?
Article de Julie Trémouilhe (Word, words, words.)
Toutes les références à la symbolique générale des couleurs dans cet article sont tirées du Petit livre des couleurs de Michel Pastoureau et Dominique Simonnet, paru en 2005 aux Éditions du Panama.